De 1961 à 1975, le Portugal colonial de l’Estado Novo mena une guerre sanglante en Guinée Bissau, en Angola et au Mozambique, pays cherchant alors à accéder à leur indépendance. Refusant d’aller faire la guerre, au moins 200 000 insoumis, réfractaires au service militaire et déserteurs fuirent le Portugal et les différents théâtres d’opération. C’est une des plus grandes vagues connues de désertion dans l’Histoire.
Si beaucoup d’entre eux se sont retrouvés en France, alimentant le besoin en main d’œuvre des « trente glorieuses », d’autres se sont installés au Вuxembourg, en Suède, aux Pays-Bas, au Danemark, au Royaume-Uni… Quelques que soient les destinations finales, le lieu de passage obligé était presque toujours la ville de Paris, où plus de 600 000 immigrés portugais avaient élu domicile. Ainsi, des réseaux familiaux ou amicaux, des organisations politiques et caritatives françaises et des comités de soutien aux déserteurs portugais basés à Paris tentaient de leur venir en aide.
Nombre d’entre eux ont participé activement à la vie sociale, culturelle, artistique et politique de la région parisienne. S’ils ne restaient pas en France, ils partaient alors vers les pays qui acceptaient de les accueillir, parfois avec le statut de réfugiés.
Dans la région parisienne, cette population immigrée marque les lieux et les paysages. Des cafés, des chantiers, des salles des fêtes ou des théâtres franciliens sont rythmés par cette communauté. Certaines figures deviennent plus connues du grand public, comme le chanteur engagé – et déserteur – Luis Cilia qui a accompagné sur scène Georges Brassens ou Paco Ibañez, le poète – et déserteur – Manuel Alegre, le comédien – et insoumis – Luis Régo ou l’homme politique – et exilé – Mário Soares. Néanmoins, l’histoire des déserteurs, réfractaires et insoumis des guerres coloniales portugaises semble largement méconnue et oubliée.
Qui se souvient des arrivées massives de portugais à la gare d’Austerlitz ? Qui se souvient des soirées de soutien aux déserteurs qui faisaient salle comble dans toute la région parisienne et même à la Mutualité ? Qui se souvient du succès en salle du film français Le Salto de Christian de Chalonge (prix Jean Vigo 1968) qui met en scène un insoumis portugais qui émigre clandestinement jusqu’à Paris ? Qui se souvient de la manifestation du 1er mai 1974 qui a rassemblé des milliers de portugais immigrés sous la bannière de la lutte contre la guerre coloniale et pour la liberté ?
Il est temps de rendre hommage à ces immigrés, d’écrire leur(s) histoire (s) et de les inscrire dans la mémoire collective parisienne. Plus de 40 ans après la révolution des œillets, il est encore possible d’organiser un grand événement et d’y faire participer les acteurs, les témoins de cette aventure qui pour la plupart d’entre eux, vivent encore dans Paris et sa banlieue.